A propos du recueil « Vers la mer » de Marielle Anselmo

Ma première intention a été d’extraire un ou deux textes de ce recueil de Marielle Anselmo. Un poème. Et le poser là. Je n’ai pas pu. J’ai lu « Vers la mer », du début à la fin, comme il se doit. Puis autrement. Ouvrant l’ouvrage au hasard. N’importe où. Pour l’éprouver. N’importe où n’existe pas dans ce livre. Je n’ai pu ôter un poème sans craindre d’atteindre l’ensemble. De corrompre la longueur de temps de cette abondante récolte mémorielle. Pourtant chaque phrase possède sa propre chair, chaque texte, son propre cœur et peut aller seul, c’est certain. Mais non, décidément, je ne pouvais morceler le paysage, galvauder le voyage. Il me semblait lire un seul poème. Et cela m’a frappée, avant même d’avoir achevé ma lecture.

Il est impossible que des yeux se posent identiquement où d’autres se sont posés. Mais, devant un poème véritable, on se souvient de ce que l’on a pas vécu. Et ce que l’on a vécu trouve sa vérité. Comme ici.

Les poèmes de Marielle Anselmo sont brefs. Mais c’est un tour, car le blanc est écrit et il se lit. Ces textes possèdent un autour, de battements, de bruits de pas, de moteurs, de froissements d’ailes, de feuilles et de draps… Le peu de matière fait le tout. La douleur, la beauté, la pensée, le mouvement.

« J’étais un lieu pourtant », écrit-elle. Oui, et il demeure.

G. Segal

« Vers la mer», Marielle Anselmo, Éditions Unicité, 2022.

Une bibliographie de l’auteure ici : https://www.m-e-l.fr/marielle-anselmo,ec,1303

Elsa Morante – Aracoeli

Il n’est en effet point de retour de l’Oubli, sinon à travers son jumeau, la Restitution. C’est dans cet autre fleuve, que l’on reboit les mémoires perdues ; mais comment s’assurer que ses eaux ne sont pas droguées, et polluées par des présages ou des séductions, des fabulations ou des leurres ?

Agota Kristof. Le grand cahier

Nous écrivons : « Nous mangeons beaucoup de noix », et non pas : « Nous aimons les noix », car le mot « aimer » n’est pas un mot sûr, il manque de précision et d’objectivité. « Aimer les noix » et « aimer notre Mère », cela ne peut pas vouloir dire la même chose. La première formule désigne un goût agréable dans la bouche, et la deuxième un sentiment.

Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues ; il vaut mieux éviter leur emploi et s’en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c’est-à-dire la description fidèle des faits.

Barbara Polla. Femmes hors normes

« Autonomie » dans le langage courant, équivaut à « indépendant », mais stricto sensu et étymologiquement parlant « autonome » signifie « qui se donne ses propres lois » (autonomos). En se voulant « hors normes », l’individu ne cherche pas à se donner ses propres lois : il se plie volontiers, tout comme moi, aux lois de la société à laquelle il appartient et les respecte. Il s’agit d’autre chose : de résister de manière individuelle et motivée à la prescription sociale, aux stéréotypes de tous genres (et à ceux de genre en particulier) ; de se choisir ses propres normes (et son, ou ses propres genres).

Le site de Barbara Polla : https://barbarapolla.wordpress.com

Charles Reznikoff. Sur les rives de Manhattan


Il était conscient des ses habits chiffonnés, avachis, luisants des innombrables heures passées à s’instruire sur les chaises de la bibliothèque. Il sentait les trous béer dans ses deux semelles, mais se raisonnait, sachant que seul le trottoir connaissait son secret. Qu’as-tu donc à perdre ? s’encourageait-il sans cesse.

Fatou Diome. Le ventre de l’Atlantique

Partir, c’est mourir d’absence. On revient, certes, mais on revient autre. Au retour, on cherche, mais on ne retrouve jamais ceux qu’on a quittés. La larme à l’œil, on se résigne à constater que les masques qu’on leur avait taillés ne s’ajustent plus.

Sylvie Germain. Magnus

Il cherche un endroit neutre, et reculé, un lieu-clepsydre où laisser passer le Temps, jusqu’à ce que son tour vienne. Le tour de quoi ? Il l’ignore, mais cette inconnaissance est à présent la seule aventure qui vaille pour lui.

Malcolm Lowry. Lunar Caustic

Une fois encore, un homme s’arrêta en sortant de l’hôpital municipal. Une fois encore, non sans vacarme et tremblements, la porte de l’hôpital se referma derrière lui.
Dehors, il n’éprouva nulle sensation de délivrance, rien que de l’inquiétude. Avec une pointe de nostalgie, il ne cessait de regarder, derrière lui, l’édifice qui lui avait servi de maison. Il le trouva vraiment beau et il contourna une boutique d’angle.

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