Virginia Woolf. Mrs Dalloway

Cela avait-il la moindre importance, se demandait-elle en se dirigeant vers Bond Street, cela avait-il la moindre importance qu’elle dût un jour, inévitablement, cesser d’exister pour de bon ; le fait que tout cela continuerait sans elle : en souffrait-elle ; ou n’était-ce pas plutôt une pensée consolante de se dire que la mort était la fin des fins ; mais que pourtant, en un sens, dans les rues de Londres, dans le flux et le reflux, ici et là, elle survivrait, Peter survivrait, ils vivraient l’un dans l’autre, elle survivrait, elle en était convaincue, dans les arbres de chez elle ; dans la maison, si laide, si délabrée qu’elle fût ; dans des gens qu’elle n’avait jamais connus ; elle s’étendrait comme une brume entre les gens qu’elle connaissait le mieux, qui la soulèveraient sur leurs branches comme elle avait vu les arbres soulever la brume, mais cela s’étendait loin, si loin, sa vie, elle-même.

Philip Roth. Indignation

J’étais toujours en train de prendre sur moi. Je poursuivais toujours un but. Livrer les commandes et plumer les poulets, nettoyer les billots de boucher, avoir les meilleures notes pour ne jamais décevoir mes parents. Raccourcir ma prise sur la batte de base-ball pour qu’elle frappe la balle et qu’elle retombe exactement entre les joueurs de l’équipe adverse du champ intérieur et ceux du champ extérieur. Changer d’université pour échapper aux restrictions imposées par mon père de façon irrationnelle. Ne pas devenir membre d’une fraternité afin de me consacrer exclusivement à mes études. Prendre la préparation militaire avec le plus grand sérieux pour essayer de ne pas me faire tuer en Corée. Et maintenant, le but à atteindre , c’était Olivia Hutton.

M Train. Patti Smith

Ce n’est pas facile d’écrire sur rien.
J’entends le timbre de la voix traînante et autoritaire du cow-boy. Je gribouille sa formule sur ma serviette en papier. Comment un type peut-il vous enquiquiner en rêve et avoir ensuite le culot de revenir à la charge ? J’éprouve le besoin de le contredire, pas seulement par une simple répartie, mais en passant en l’action. Je baisse la tête, contemple mes mains. Je suis certaine que je pourrais écrire indéfiniment sur rien. Si seulement je n’avais rien à dire.

James Baldwin. La chambre de Giovanni

Je me souviens que, dans cette chambre, j’avais l’impression de vivre sous la mer ; le temps passait au-dessus de nous, indifférent, les heures et les jours ne voulaient rien dire. Au commencement, notre vie à deux était faite d’une joie. Sous-jacente à la joie, bien sûr, était l’angoisse, et sous l’étonnement la peur ; mais elle ne nous tourmentèrent pas dès le commencement, pas avant que nos glorieux débuts aient pris un goût de fiel. Alors l’angoisse et la peur devinrent la surface sur laquelle nous glissions et dérapions, perdant avec notre équilibre toute dignité et toute fierté.

Arundathi Roy. Le ministère du bonheur supême

Elle vivait dans le cimetière à la façon d’un arbre. À l’aube, elle assistait au départ des corbeaux et accueillait le retour des chauve-souris. Au crépuscule, c’était l’inverse. Entre leurs allées et venues, elle s’entretenait avec les fantômes des vautours qui hantaient ses branches hautes.

Malcolm Lowry. Au-dessous du volcan

Il pria : Je vous en prie, accordez à Yvonne son rêve d’une vie nouvelle avec moi – je vous en prie, laissez-moi croire que tout cela n’est pas une abominable duperie de moi-même – je vous en prie, laissez-moi la rendre heureuse, délivrez-moi de cette effrayante tyrannie de moi. Je suis tombé bas. Faites-moi tomber encore plus bas, que je puisse connaître la vérité. Apprenez-moi à aimer de nouveau, à aimer la vie.

Nathalie Sarraute. Les fruits d’Or

Mais les romanciers choisissent n’importe quoi… au petit bonheur… Un geste qu’ils ont remarqué, qui pouvait signifier n’importe quoi, ils le prennent et ils se disent: tiens, ça fera bien, voila ce qu’il me faut, ça ira là… Un geste quelconque, qu’ils ont retenu… Le ton assuré de l’écrivain. On est obnubilé… On pense que lui, il sait. Et on dit: mais comme c’est vrai. Et on le retrouve dans la vie. Bien sûr qu’on l’y retrouve, puisqu’on l’y a mis… puisque l’on voit la vie à travers les romans… Il y a des gens marqués pour toujours par ces vérités là.

Nathalie Sarraute.Enfance

Il n’y a plus en moi comme avant, comme en tous les autres, les vrais enfants, ces eaux vives, rapides, limpides, pareilles à celles des rivières de montagne, de torrents, mais les eaux stagnantes, bourbeuses, polluées des étangs… Celles qui attirent les moustiques.

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