De toi Ce que je vois Ce que je ne vois pas Je l'aime De toi J'invente tout Mais je n'invente rien, hein ? Tout est là sous mes yeux Tout se donne à mes mains Ou ne se donne pas Et m'arrache le cœur Chaque jour Me l'arrache Mais le cœur revient Sans cesse il revient se nicher À sa place de naissance Car le cœur est oiseau De quelle place je parle Tu aimerais le savoir, hein ? Qui le sait Qui sait la source de ce cœur Car le cœur est poisson De toi Ce que je vois Je l'aime Moins parfois Que ce que je ne vois pas Ce qui nage Ce qui vole Ce qui en a gros sur le cœur De toi je fais distance Entre moi et la mort Entre moi et la nuit La nuit qui est jour tu le sais Pour les bienheureux Pour les fous Toi et moi sommes les deux Toi et moi sommes À la fois tout et rien Nous trébuchons sans cesse Nous trébuchons Et les rires nous relèvent Ou la souffrance Parfois rire et souffrance Dans un même élan Nous remettent debout Pour que l'envie nous prenne De nous étendre là De toi Ma peau sait plus Que n'en sait mon esprit J'ai beau le voir écrit Cela peut s'inverser Le poème n'est pas roi De toi J'oublie toujours ce que je sais Car les minutes sont Je crois que les minutes sont Vidées par les averses Toi tu sais De quelles averses je parle
Passe noire
Ce que nous finissons Ce que nous croyons finir S'achève dans un temps Où nous ne sommes plus Ce point que l'on appose À la dernière phrase Ne semble pas final Même s'il tord notre cœur Même s'il est comme balai Qui a fini son ouvrage Voilà La poussière revient Il n'est rien de terrien Qui ne revient jamais Ce que nous finissons Ce que nous croyons finir Nos vies Qui semblent s'achever Qui s'achèvent bel et bien Rien ne saurait nous dire Que cela est réel Car ce temps où l'on voit Se passe dans le noir Si vivre c'est chercher Mourir est-ce trouver ?
Pierre de ricochet
L'autre Agrippé Hélé Happé Ricoché À la surface de l’œil L'autre soi L'autre autre Tous deux fendus Sans division L'autre appris de soi-même L'autre mesure Et du vide et de la distance L'autre soi Ennemi de l'ami Ennemi de l'ennemi L'autre Hélé Happé Ricoché À la surface du temps De la peau et des os Cognant ce qui se voit Avec ce qui ne se voit pas Avec ce que la mort prend L'autre sait La mort prend tout Laisse tout Un autre trouve Ou ne trouve pas Ce qui demeure Après soi Un autre Un autre Est toujours là
À l’instant
Rien sans doute rien qui se retienne Rien qui ne s'oxyde pas Qui résiste Rien de fort malgré les mots forts Les métaux forts Rien dans le silence Dans le bruit Pas plus que la membrane d'un désir Qui vibre Rien sans doute rien qui s'éternise Rien qui se joue de la mort Qui nous retienne Qui résiste Main dans la main Joie et mélancolie Tels des amants qui s'aiment pour l'instant Rien qui efface l'instant
Ne rien rester, ni partir.
Ce que je veux au fond C'est rester Avec rien Avec peu De l'encre Des paroles De la salive passant d'une bouche à l'autre Des ongles noircis par la terre remuée Autour d'une graine enterrée Pour qu'elle vive Des volets s'ouvrant sur une dormeuse Qui remontant la nuit sur elle Efface le jour qui vient Au fond ce que je veux C'est ne rien rester ni partir
Ultraterrestre
Mes prières inhabitées Montaient montaient Montaient Au delà de montagnes Pas plus hautes que mes essoufflements Puis retombaient Dans la pénombre d'une face cachée Qui broie Tout espoir d'une terre sans objets Comment pouvais-je vivre sans être Comment le pouvons-nous Et pourquoi laisser faire Mes prières à présent Accueillent le silence Comme hôte évident Elles ne sont plus prières mais menaces Puis chant Pas de pardon ? Tant pis Pas de pardon pas de pardonnés Mais des montagnes hautes Des neiges éternelles Des morts strictement naturelles Des danses pour qu'il pleuve Des cuisses écartées par leur propre désir
Cesser
Je voudrais au silence opposer pire encore Un bâillon qui serrerait aussi ma gorge Et mes seins et mon ventre Je voudrais que le silence s'étonne De s'être trompé à ce point Sur l'ampleur de sa force Je voudrais me taire si loin en moi Faire tempête de glace Ne plus voir Ne plus entendre dans le noir Ne plus voir le noir Je voudrais au silence opposer mon silence Et qu'ils se battent à mort Que ma main gauche s'affaisse une bonne fois pour toutes
Guerrière

Tu ne peux plus
Laisser se répandre
La couleur blanche
Sur les murs de ton crâne
Tu ne peux plus
T'enivrer de ton propre air
Livrer ton âme impolie
Au papier de verre
Tu ne peux plus attendre
Ce qui est en toi
Est à toi
Tu ne peux plus te déporter
Dans un coin de ce sol qu'on te loue
Pour espérer l'entrevoir
Tu ne peux plus ne pas être
Ne pas prendre
Tu ne peux plus ignorer
Ce temps de chacune
Que tu portes sur toi
Comme une peau
Qui te fait chair
Tu ne peux plus penser
Sans pouvoirs
Tu ne peux plus écrire
Sans territoire
Rendez-vous au Grand Jamais
Hier disais-tu
Hier nous a tout pris
Et jamais jamais
Au Grand Jamais
Il ne nous a rendu
La moindre petite chose
Pourtant combien de fois
Me demandais-tu
Combien de fois
Sommes-nous allées là-bas
Espérant reprendre notre bien
Je me souviens
En chemin nous scandions
Que le pillage cesse
Nom de Dieu
Que ça cesse
Nos poings cardinaux tendus
Une fois vers le ciel
Une fois vers la terre
Hier nous jetait à la face
Pour que nous décampions
Quelques heures vides
Totalement vides
Ah tu vois me disais-tu
Saloperie d'ingrat
Ni partir

Tes mains
Regarde-les
Toujours avides
Mais toujours vides
Écureuils qu'affame
L'absence de mémoire
Regarde-les
Tout accomplir
Pour la centième fois
Comme première fois
Fouiller en vain
L'air et le vent
À la recherche du passé
Que toujours elles égarent devant
Tes mains
Voleuse habiles
Piètres penseuses
Instruments de l’éternité
Et de la mort
Tu ne peux les garder pour toi
Marcello Comitini a très justement traduit ce poème en italien. On peut trouver cette traduction ici :
https://marcellocomitini.wordpress.com/2019/12/03/gabrielle-segal-le-tue-mani-ita-fr/