Je dois te le dire
Je t'ai égarée
Pas comme ça
Pas d'un coup
Tu n'as pas traversé
Subitement
L'une de mes poches percées
Je t'ai égarée lentement
Doucement
D'un geste machinal
Mes mains t'ont émiettée
Jusqu'à ce qu'il ne reste en moi
Plus aucune trace de ta perte
Vōx fēminae senis est
Je ne serai ni usée
Ni rompue
Ni sage
Je serai emplie
De temps vécu
Transparent comme l'eau d'un lac
Au-dessus duquel
Nul n'ose se pencher
Tant il a l'air profond
Son « quand » à soi
Froisse ce maudit jour
Et glisse-le dans ta poche
Pour le lire plus tard
Beaucoup plus tard
Ferme les volets
Plie la maison dans le jardin
Et jette le tout dans la rigole
Couche-toi
Défroisse un coin du jour
Et mets un point de côté
Pour qu'il freine ton élan
Envers le jour d'avant
Un autre
Pour décider du quand
Promesse du jardin d’hiver

Inerte comme feuille
Dans un jardin d'hiver
Tu attends
Parfois regrettes la chute
Accomplie outre-temps
La lenteur de la chute
L'ivresse de la chute
Te souviens
Qu'en voyant le sol
Piqué d'heures amères
Prédisant
De fatales blessures
Tu avais à la hâte
Nommé ta descente
Vol
Tes membres
Ailes ou voiles
La vitesse
Distance
Inerte tu oublies
Le possible
Et terrifiant herbier
L'épingle
Et l'encre
De la science
Tu oublies
La jeunesse
Captive du rameau
Et de l'arbre
Inerte comme feuille
Dans un jardin d'hiver
Tu attends
Que l'on te méprise
Pour aller
Be(e)

Des mains ont ce pouvoir
De te faire venir
Je viens dis-tu
Sans l'avoir voulu
Et ces mains
Qui te savaient partie
Où vont-elles te chercher ?
Je viens tu le répètes
Sans l'avoir voulu
Tes lèvres comme pistil
Orné d'or poudreux
Ces mains comme abeilles
Qui le ravissent au lois
Pour prix de ta venue
Je viens tu le répètes encore
D'où viens-tu ?
La belle traduction en italien de ce poème est en lecture sur le site de Marcello Comitini
https://marcellocomitini.wordpress.com/2019/11/11/gabrielle-segal-bee-ita-fr/
L’être, l’avoir.
Les rêves d'une vie
Qui ne s'est pas faite
Bousculent le réel
Le mettent à terre
Le piétinent
Mes jambes ont basculé
Du côté onirique
Ici je ne peux plus marcher
Je ne peux plus parler
C'est là-bas que ma bouche
Délivre les mots justes
Qui m'arrivent en cris
En silencieuses déflagrations
Ici mes mains froides
Donnent des coups
Contre la croisée
Qui borne les conjugaisons
Pour la faire céder
Ici je suffoque
D'être enfermée là-bas
Plaine blanche
Je suis devant une page blanche
J'attends
Se faisant je feuillette un livre posé là
« Je suis seul dans la plaine
Et dans la nuit
…* »
Je suis là
Mais il me faut partir
Je suis seule
Et il me faut rester ainsi
Écrire
Ici et seule
Pourquoi ?
Être seule dans la plaine
Être seule dans la nuit
Plaine blanche
Nuit sans insectes
Il me faut être là
Souffrir du silence
Peine blanche
Nuit sans sentence
Il me faut rester ainsi
Attendre
Écrire c'est attendre
Et haïr la patience
Il me faut être seule
Muette dans le silence
Attendre de disparaître
Pour dire
*Léopold Sédar Senghor, Je suis seul dans Poèmes Divers, Œuvre poétique Éditions Points essais.


