Si, je le ferai*
Déciderai
De l’heure et de la manière
Mes yeux m’aviseront en premier
Qu’il est temps
Puis mes mains
Qui frôlant une écorce
Ou le crépi d’un mur
N’auront qu’un reflexe
Me serrer la gorge
Non, tu ne feras pas ça*
L’heure ne sera jamais
Noire à ce point
Il y aura des choses nouvelles
Qui ne te rappelleront aucun lieu
Aucun être
Un poème que tu n’auras pas lu
De longs moments
Où la transparence
Et la lumière
T’occuperont l’esprit
Toi-même écriras sans doute
Un vers ou deux
Que tu ne conserveras pas
Mais diras à voix haute
Lors de tes promenades
Au bord de la falaise
*Phrases empruntées à Nathalie Sarraute dans « enfance »
Divagation crépusculaire
Quelques verbes sauvages
Se risquèrent dans le jardin
Quand je m’allongeais sur le dos
Au-dessous des constellations
Des nuages d’un noir plus soutenu que celui de la nuit
– La nuit qui n’est pas noire
Plutôt un jour obscur
Une portion éteinte –
S’effilochaient et se déchiraient dans le plus remarquable des silences
Les verbes se pliaient de mauvaise grâce à l’échelle de la parcelle
Crier murmurait
Aimer s’éprenait de son reflet
Fiché dans l’eau croupie d’une traverse concave
Espérer demeurait espérer
Malgré son désir qu’il en fût autrement
Croire devenait exiger
Quant à moi j’observais la lente agonie d’un éphémère
Que mes yeux croisèrent fortuitement
Lente pour qui ? me demanda le verbe penser
Agonie pour qui ?
Ephémère pour qui ?
Et surtout pourquoi ? se mit à gueuler l’indomptable
Confiteor terminal
Nous avons cessé d’être naturels
Et la nature s’épuise à ne pas subir notre sort
Claustrée
Le silence de l’esprit
N’a d’équivalent dans aucun lieu terrestre
Où rien n’est jamais insonore
Quand il se trouve privé du timbre de sa pensée
Mon être s’affole et s’impatiente
Tente de se fuir lui-même
Reconnaissant dans ce calme sinistre
L’abîme de l’avant
Et donc de l’après
Miroir cosmique
L’image surgit et disparaît de mon esprit
Comme les vagues irrégulières
D’un cosmos déréglé
Négligeant ses marées
Dans le miroir où je cherche une réponse
À la question D’où vient-elle ?
Je ne vois toujours qu’une enfant
Et songe avec envie
Au logement peu meublé
Que doit être son âme
Et à celui bien ordonné de son cœur
Je ne la vois pas vraiment
Comment le pourrais-je ?
Cependant
Dire qu’elle est morte serait faux
Mais tout autant que de la penser vivante
Si je tends la main
Elle imite mon geste
C’est un jeu qui l’amuse
Lorsque nous nous observons
Ses yeux ne se froncent pas comme les miens
Elle se contente d’un regard blanc
Je parierais qu’elle a peu de mimiques
Encore une chose que je lui envie
Quant à elle
Que pourrait-elle désirer me prendre ?
Il suffit
Je ne sais pas parler
Je ne sais pas dire
J’entends
Je regarde et je laisse à mes mains le soin de choisir l’adjectif
De savoir si j’aime ou si je n’aime pas
À mes yeux le soin de choisir le verbe
À mes pieds le soin de décider de l’heure
La nuit humaine ne le peut pas
Mais une autre le peut
Qui s’amuse comme une folle à me courir après
Entre chien et loup
Quand le jour décline
L’heure hésite souvent
Entre angoisse et quiétude
Dans les demeures
On se frotte les mains
L’une contre l’autre
Sans savoir pourquoi on fait ça
Car fait-il chaud ou froid
Le corps n’en sait rien
Pas plus que l’esprit
Les chiens comme à leur habitude
Repoussent l’obscurité
En aboyant sous les fentes
Des portes d’entrée
Avant d’aller se coucher
Près d’une ampoule électrique
Plus tard les heures s’interrogent
Les rêves ont-ils besoin d’espace ?
Et si oui de combien ?
Et si non pourquoi ?
Comment fait le marcheur de ce songe-ci
Pour se rendre de là à là
Si les distances n’existent pas ?
Car il marche c’est un fait
Il court même parfois
De quelle matière est-il fait ?
Cellulaire ? C’est peu probable
Alors quoi ?
À minuit tapant
Les chiens comme à leur habitude
Se retournent du côté loup
Et vont planter leurs canines
Dans la chair d’une nuit
Trop agitée à leur goût
Qui se met à pisser
Un sang couleur
De ciel matinal
Non ! Pas déjà le jour
Déplore le marcheur
Le jour ne mène nulle part




