Horsum, illic

©Anita Dube
nos yeux sont impuissants à trouver ce lieu où nul 
où rien ne bouge
impuissants à rejoindre ceux qui l’ont atteint
ceux-là partis sans leurs yeux
(qu’on cherche du regard
parmi tout ce qui bouge)



Illustration du texte ©Anita Dube, Offering, 2000-2007, épreuve gélatino-argentique, ©Nature Morte Gallery, New Delhi.

Mer à mer

©April Gornik

Quand elle sort de l’eau
on dirait qu’elle vient de l’eau


dans l’eau on ne tombe pas comme sur la terre
on tombe sur du tendre
on ne s’écorche pas

dans l’eau on ne respire pas comme sur la terre
on se sent respirer
on est respirée



Illustration du texte : April Gornik, "Storm, Light, Ocean", 2014, huile sur lin, 2 x 2,7 m ©April Gornik et Miles McEnery Gallery, New York

Faire l’oiseau

©Ana Mendieta
I
à travers le trou d’une balle
dans un mur
un seul œil à la fois
voilà comme on regarde

ce n’est pas assez pour prendre
c'est plus qu’on peut en porter

II
le monde dépensé
n’est pas un endroit pour les yeux
pas un endroit pour la chair
et le tendre de la pensée

ce qui était beau
nous écrase en retombant

III
le volcan se fait terre
que faisons-nous

IV
je ne peux plus que des fragments
des ruines de poèmes
pas comme ces pierres que je ramasse
qui forment des phrases entières

— de leur place laissée vide
après mon passage
je m’en veux toujours —

mais il faut que je vole
pour qu’hier me suive



Illustration du texte : ©Ana Mendieta, Isla, 1981. ©Galerie Lelong, New York
.

Ostriconi

© Colette Richarme
le vent fort poussait la nuit au large

nous venions du large
puis marchions sur le rivage
puis dans le désert

nos pas laissaient des traces sur la pierre
j’aimais penser
des traces d’intempéries séculaires
j’aimais penser
les oliviers s’inclinent sous notre souffle
mais regrettais cette pensée
nous étions regardées
autant que nous regardions
nous étions respirées autant que nous respirions

on ne pouvait craindre un désert qui va jusqu’à la mer
on pouvait craindre que nos jambes ne nous y portent pas
mais nos jambes comptaient aller beaucoup plus loin
durant notre sommeil elles s’emmêlaient
je ne savais plus qui des tiennes ou des miennes
décidaient du prochain voyage

l’onde de l’Ostriconi n’était pas encore mienne
pas encore à pouvoir se donner
à vouloir me prendre


non ma patience n’était pas patience
la nage en eaux sages pouvait attendre
que l’amour se bâtisse
tout ce bois flotté répandu sur la grève
plus qu’il n’en fallait
pour les murs et le feu



Illustration du texte : Colette Richarme, Vagues, 1988, gouache, 36 × 50 cm, Collection particulière, © Colette Richarme’s Estate

Aucune demeure

©Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori

à cette heure il est vain
d’apercevoir l’horizon


tu la vois
tu l’entends
proche
elle n’est pas effrayante
si tu te souviens de
ce qui t’a effrayée
tu dis J’essaie encore
c’est à elle que tu t’adresses
proche
elle te ressemble un peu
tu le constates
elle te demande
Il t’a fallu combien de toi
tu ne sais plus
tu as cessé de compter
tu répètes dans un murmure
J'essaie encore



Illustration du texte : ©Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori, "Thundi", 2011, peinture polymère synthétique sur toile, 100,8 x 197 cm, ©National Gallery of Victoria, Melbourne.

Nu assis

©Pan Yuliang

Tu dirais qu’il n’y a rien d’immobile
même ce qui ne bouge pas avance
les yeux ne voient pas tout
le cœur dans la poitrine avance
certains diraient
seul l’amour se déplace
ceux-là qui ont aimé
comme on apprécie un paysage
par la fenêtre du train
les mêmes diraient
la main qui écrit efface le mouvement
tu dirais que c’est faux
tu dirais que tout bouge
avenirs
souvenirs
tu te demanderais Sommes-nous dans ou hors
la tête posée sur les seins de celle qui porte le voyage



Illustration du texte : ©Pan Yuliang, "Nu assis", 1953, huile sur toile, 33 x 46,4 cm, © Musée Cernuschi

Est-ce cela ?

©Julia López
on ne tombe pas
on s’allonge lentement
l’herbe ne se couche pas
sous notre poids
les insectes nous frôlent sans nous savoir
ils se taisent et c’est tout
à cause de l’obscurité
parce que l’obscurité

on est arrivées jusque-là
et on peuple la rive acquise
de rêves de toutes sortes
de poèmes de jeunesse
sont-ils demeurés beaux
le long du Styx des promeneurs
l’ont-ils jamais été


— nos yeux s’attardent
sur ce qui ne peut
devenir ruine —



Illustration du texte : ©Julia López, "Mirando la luna", 1999, technique mixte, 50,3 x 70,5 cm. ©Collection Juliana G.Z. López.

Vie ? Ou théâtre ?

©Charlotte Salomon
l’eau quand elle touche le ciel
le bruit que ça fait

la pierre qui ricoche
et froisse le bruit de l’eau
quand elle touche le ciel

je ne sais plus du tout écrire ça

beaucoup de mes mots disparaissent
d’autres mots viennent à d’autres

il faut ? une fin de soi


(Titre du texte emprunté à Charlotte Salomon) Illustration : Charlotte Salomon, "Autoportrait", 1940, gouache sur carton, 53,9 x 39 cm, Collection Joods Historisch Museum © Stichting Charlotte Salomon

Les choses vues

©Joan Semmel
les yeux ne portent pas
les choses vues

ce que l’on voit n’existe qu’une fois

peut-être ils portent les choses tues

— celles que tu destines à l’oubli te retrouvent
et toi tu les re-gardes —

(ton cœur
ne bat jamais dans tes yeux)
il n’y a jamais aucun bruit dans tes yeux



Illustration du texte : Joan Semmel, "Centered", 2002, huile sur toile, 121,92 × 134,62 cm, © 2023 Joan Semmel / Artists Rights Society (ARS), New York.

Sex lapides

©Mariann Imre

comme ça
toujours courant
tu dis à cause
de la pluie cinglante
ne veux pas sur tes cuisses
l’eau d’un lac lointain
qui s'est égarée là
ni cette odeur de sang
sur les pans de ton jean
écœurante


la nature sait
c’est trop à porter


(le vol des oiseaux
ce n’est pas beau à entendre
c’est le son de l’effort
dont nous sommes incapables)


à l’approche de l’orage
tout ce qui bouge est bleu
branches et plaintes du vent
sont comme rideaux bleus

l’océan partout l’océan

au long d’une vie
il arrive que le cœur se mette à battre



Illustration du texte : Mariann Imre "Landscape experiment", 2015, aquarelle. © Mariann Imre

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