Refus de faire poème de la poésie

© Suzanne Perlman
Quand je te regarde dormir
toute partie
toute là
couverte par le seul voile d’été
mes mains aiment penser qu’elles n’oublieront jamais
ce que les mains oublient toujours
la peau la peau la peau


Illustration du texte : Suzanne Perlman, "Reclining Nude", 1986, huile sur toile, © Suzanne Perlman Estate.

Elle est un palindrome

©Bertina Lopes
Quelqu’une ailleurs
je veux dire hier
je veux dire là-bas
léchait le sel sur la peau
d’elles qui ont aimé s’élancer
au centre de ses cuisses

chuchoter au bord de ses lèvres
et même les ailes prises dans la lave durcie de l’île
l’oiselle ne cesse d’être une voleuse


aimer c’est
comme marcher longtemps
comme aller loin

et même c’est encore ici
dans un sens ou dans l’autre
je veux dire hier
je veux dire aujourd’hui
c’est encore ici



Illustration du texte : Bertina Lopes, "La vita è una eruzione volcanica", 1997, huile sur toile © Bertina Lopes.

La manquance

©Lee Yanor

la lumière aussi
oui je te dis la lumière aussi
est autre

à la même heure
au même temps
au même lieu


que peut le cosmos
je me le demande

quand nos yeux regardant l’horloge arrêtée
cessent d'y voir



"l’horloge arrêtée", empruntée au poème « Dialogue entre moi et moi » de Kiki Dimoula in Le peu de monde, éditions Gallimard, 2010.

Illustration du texte : Lee Yanor, "Void", 2011, C-print et impression sur voile. ©Lee Yanor

Pierre de cœur

©Seta Manoukian
sous la pierre soulevée 
un serpent en collier
des débris de coquilles
des cœurs écrasés
 

l’empreinte de la pierre
la poussière de la pierre


la pierre a ce pouvoir
elle ne sait aucun verbe


faudrait-il l’aider
à fuir son lieu de pierre
qu’elle ne peut quitter seule

serait-ce l’aider
ou bien se haïr



Illustration du texte : Seta Manoukian "Rock #4" (Rock Series), 2018, acrylique sur toile.©Seta Manoukian

Effort des faibles

© Else Meidner
ce qui existe
ce que l’on peut toucher
du bout des doigts
ce n’est pas là
devant nos yeux

ce que l’on est
ce qui est vrai
ce que l’on désire

tout est à l’intérieur

dans l’organe de l’attente

– ce n’est pas le cœur
qui n’est que cave qui s’inonde –

quel nom lui donner

et pourquoi vouloir le nommer

il ne vit pas longtemps
ou alors trop longtemps

le nommer
ne sert donc à rien

on n’en parlera jamais
à voix haute

on ne dira jamais
c’est ici 
en le montrant du doigt

on ne peut le situer
aussi justement

cet organe c’est le corps
l’être dans son entier
et on ne fait pas ça
dire 
en accompagnant la voix
d’un grand geste circulaire
c’est ici que j’ai mal


© Else Meidner, "Nu féminin", 1950, fusain, aquarelle. © Archives Ludwig Meidner, Musée Juif de la ville de Francfort. 

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