J'y suis entrée seule
Quand le jour se levait
Premier jour de l'hiver
Accolé au cadavre
Du dernier jour d'automne
Qui avaient ses endeuillés
J'y suis entrée debout
En marchant crânement
Bien que morte de peur
Devant moi terre et ciel
Dans un corps concentrés
Sur lequel se trouvaient
Perles céruléennes
Qui firent ma Richesse
Nuages que je caressais
Non seulement du regard
Mais aussi de la paume
Jardin où je semais l'ortie
Pour que le papillon fleurisse
J'y suis entrée mélancolique
Solitaire par naissance
Tombée du firmament
Comme tombe la poussière
D'étoiles innommées
Comme cela est juste
Me disais-je alors
D'être ainsi oubliée
Comme c'est naturel
Qu'aucun son usiné
Ne puisse m'appeler
J'y suis entrée indélicate
Tel l'animal sauvage
Dans un champ cultivé
Sans vouloir faire mal
Sans intention de nuire
Bien sûr que j'ai nui
Bien sûr que j'ai fait mal
J'y suis entrée jeune
Mais il faut être vieux
Pour que ce temps chagrine
Et si je l'ai été
Je ne m'en souviens pas
J'y suis entrée nue
Ignorant que je l'étais
J'y demeure ainsi
À présent que je sais
Le paradoxe de l’écrivain. Marguerite Yourcenar
Ecrire
La seule pensée juste
Qui me viendra jamais
Sera par moi ignorée
Puisqu’il ne m’est pas donné de voir
Ce que je pense
Puisque je peux souffrir
Sans douleur au point de souffrance
Mon temps se passe
À écrire
Entendez
Qu’il attend ce qui est déjà là
Composition de l’éternité
Morte je serai vue
Avec les yeux du temps
Qui inlassablement place
Le passé devant
Aussi ce jour arrivera
Qui me verra m’enfuir
Les bras chargés
De trésors enfantins
Ce haut-monde

© 2019 The Estate of Francis Bacon
Mourir n’est pas la fin
Vivre n’y mène pas
Vivre est immobile
Nos corps sont figés là
Dans la révolution
Seule la pensée
À allure retenue
Va et vient
De long en large
De bas en haut
D’une nature à l’autre
Elle ne presse le pas
Qu’à l’abord des champs secs
– Ici la mort se trouve –
Dans lesquels l’idée germe
Que la Terre n’est rien
Que rien ne s’accomplit
Sur ce qui a été
Partialement nommé
Ici-bas
Composition de la nuit
I
Invisible silhouette lunaire
Qui marche à côté
De son corps guetté
Par le chien et le loup
II
Involontaire trajet vers
Le jour domestique
................ L’atteindre
Est-ce vraiment le but
N’est-ce pas plutôt la fin
III
Cheminer sans raison
Repousse la folie
IV
Au crépuscule le marcheur
Nomme ses morsures
Baisers
Ses cicatrices
Lèvres
Composition de la lumière
I
Lors d’une heure comparable
À une heure évoquée
L’obscurité enferme
L’être dans son propre corps
II
Sur cette route pâle
Où le rêveur piétine
Le levant s’accroche
Aux semelles astrales
Pour ne pas incendier
Le jour de son seul feu
Et priver la prairie
Du cosmos tout entier


