comme ça toujours courant tu dis à cause de la pluie cinglante ne veux pas sur tes cuisses l’eau d’un lac lointain qui s'est égarée là ni cette odeur de sang sur les pans de ton jean écœurante
la nature sait c’est trop à porter
(le vol des oiseaux ce n’est pas beau à entendre c’est le son de l’effort dont nous sommes incapables)
à l’approche de l’orage tout ce qui bouge est bleu branches et plaintes du vent sont comme rideaux bleus
l’océan partout l’océan
au long d’une vie il arrive que le cœur se mette à battre
écrire absolument non plus absolument écrire non plus tordre ni frapper ni creuser un mot seul pour tout dire comme vérité que les mots ne sont pas assez tous les mots écrits dits les phrases dissoutes dans les nuits et les jours les mots au-dessus de ta tête comme nuages menacés par ta disparition nuages menaçants menacés par un mot-vent mot-marée galopante voilà tu imagines cheval de marée par sa patience rongé jusqu’à la corne cheval blanc de marée noire traçant toujours la même phrase puis toujours le même mot assez assez s’imagine tirant le mot par ses extrémités pour n’en faire qu’un trait
penché pensivement sur l’animal mort qu’il a tué lui-même dans la chaleur odoriférante du poil et de la chair rouge il s’attendrit sur sa propre vie le matin éclaire comme à travers un vitrail il fixe loin devant lui le passé lente très lente activité de l’œil tous ses espoirs mis dans la féminité plus qu’elle n’en peut porter parce qu'elle porte aussi les espèces rampantes
la prairie accueille la cathédrale
la nuit se heurte aux marées montantes et descendantes des maria lunaires la nuit se heurte aux feuilles caduques
le chasseur traque de bonne-heure il dit et ça ne veut rien dire L’orgueil est une qualité à la résistance de l’air le chasseur invente l’aigle orgueilleux le cerf orgueilleux le défaut de l’orgueil la philosophie
la déception n’existe pas
je voyage encore sur le sol engourdi de la rêverie plate les marchands de bourgeons s’installent dans les brouillards mais qui résiste à l’air pire il y a le repos sur les fontaines rouillées la nage dans l’oxyde la miette qui exige une compagnie esthétique il y a les bancs il y a les solitaires il y a les villes il y a les solitaires il y a les bâtisses ciselées et la mousse ennemie et l’oiseau sans faiblesse
la cathédrale ressemble aux reliefs de l’homme qui ressemble à dieu qui se souvient de quelque chose comme l’architecture
la déception n’existe pas il reste les pays il reste les espèces rampantes il reste les chants féminins étalés sur le sable tant que la mer le permet
la pauvre chose morte décidément impérissable accomplit les rites humains en saignant de la gorge longtemps après le sang
le chasseur pense parfois à l’oiseau sinon l’espace n’est pas si grand
il faut aller il faut venir une race n’a pas de plaisir
le chasseur attend la construction des saints-lieux pour croire il se recueille ainsi penché vers le viseur où le détail est mince filet d’eau qui coule de l’animal noir mince filet hors de la mer où grouillent des milliards de branchies brûlantes des milliards de gueules tendues laidement vers l’air mortel
pauvre chose morte ranimée revenue la beauté est un excès de science un excès de calculs est une ignorance
je guéris du mal terrien Ainsi penchée sur les guerres repue malgré les chasses maigres penchée vers la guérison des femmes invisibles debout si la terre est ruinée
Tu ne sais jamais le temps qu’il te faudra entre le Voir et l’Écrire. Tu ignores tout de ce travail préparatoire. De la transformation du réel en sur-réel. Quelque chose de la vie se prend, qui fera écriture. Impalpable sur l’instant. Mais dont tu sais la présence. Cela n’appartient pas au présent. Vient s’ajouter plus tard. Ou peut-être toute la matière, déjà là, à chaque instant. Que prends-tu de ce que tu vis ? Ce que tes sens t’accordent, probablement. Et quel sens, et dans quelle proportion ? On dit, l’écrivain possède un autre sens et celui-là déchiffre les autres. Mais si cela est vrai, tu ne le maîtrises pas. Il décide seul du quand et du comment. Te garde loin de ta table d’écriture, en ne te donnant rien, ou bien t’y pousse brusquement, te fermant soudainement au temps présent et t’ouvrant au temps… comment le nommer ? Le passé ? Non, car alors, cela ne dégagerait pas autant de force vitale. Cela ne tordrait pas ton corps, comme ça le tord pour s’en extirper.
Comment nommer ce qui se crée ? Ce qui a pris tant de temps, et travaille d’ignorance tout autant que de savoir.
Écrire est juste. Tu en as la certitude. Une injustice est d’être née avec la nécessité d’écriture. Il t’arrive de vouloir t’en défaire. Il arrive qu’elle se défasse de toi. Qu’elle te refuse le marbre et te donne à tailler le stuc. En se moquant de toi. Parfois, elle prend si peu de place en toi, que tu la crois définitivement partie. Tu vois, alors que tu écris, la folie de l’écriture ? Cette injustice qui ne peut se réparer qu’un écrivant.