Mauvais poème II

©Eva Aeppli
cette guerre a avalé
le temps tout entier du siècle en un mois seulement

qu’importe ce qu’il adviendra après
il est trop tard
nous sommes tous des vieillards
depuis hier

ça fait déjà longtemps
qu’hier nous promet qu’il ne voyagera plus

il serait vain de se demander pourquoi
on meurt si souvent de mains d’hommes
avant l’heure naturelle
il n’y a pas de réponse
il n’y en a jamais eu

nous sommes mortels

au lieu de s’exclamer que nous sommes vivants 
au lieu de s’en réjouir
depuis toujours on dit que nous sommes mortels
et on s’en désespère
et on va et on vient sans plaisir
dans l’attente de l’instant terminal
à l’abri derrière les ouvrages fortifiés de la philosophie
de l’histoire et de la poésie

ici-bas 
bien plus bas que terre
le guerrier est dans son élément
car ce sont des mortels qu’il veut
ce sont des mortels qu’il prend
et non pas des vivants

ce temps éclairé entre ta naissance et ta fin
quand il t’apparaîtra au milieu du chaos comme un fantôme creux
à la bouche ne te viendra que ce terrible mot fossoyeur de la Pensée
Pardon 


Sculpture ©Eva Aeppli, The Five Widows, 1972, soie, coton, Kapok.  Museum Tinguely. 

Mauvais poème

©Sibylle Bergemann
peut-être il y aura 
un jour neuf
devant ce jour
mais est-ce bien devant qu’il faut le chercher
pas plutôt à côté
où l’on se presse tous

peut-être il n’y aura rien
que des êtres défaits
qui progresseront vers la place centrale 
bien sûr sans jamais la trouver 

en agitant la tête d’avant en arrière

comme rideaux de fenêtres soufflées
qui s’agitent en tous sens 
et dehors et dedans
où aller
où aller

comme chevelure des corps
dégagés à bras d’hommes
des rues recommerçantes

ils expulseront par la bouche édentée des façades
des rires forts bien trop forts
comme ceux des putains aux blagues de la clientèle

peut-être il n’y aura rien
qu’un jour comme un autre
que l’on visitera avec un passe coupe-file
en y allant de nos larmes devant
la sainte phrase
‘N’oublie pas’
déclinée dans la langue des tueurs pardonnés
et celle des tués

peut-être un enfant de la guerre
à la peau fine comme une peau de chien
à qui l’on dictera les préceptes
d’une paix toute fraîche
copiera sans y voir de faute
il faut tirer sur les leçons de l’histoire


Photo Sibylle Bergemann, Mur de Berlin, 1990.

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