Quatre porteurs
Menaient
À travers le village
Un cercueil ouvert.
Moi ça ne m’a rien fait.
C’était les vacances
D’été.
Ce jour-là,
Pas un nuage.
Ciel, bleu ciel.
Etincelles dans le mica
Des murs de granite.
Et quoi ! Plus tard l’océan
– Dont je disais à part moi
Qu’il serait gris perle –
Me laverait de tout.
C’était l’année où ma peau
Avait été reprisée
Grossièrement.
Ce n’est pas vrai.
Ça m’a fait quelque chose
De voir le vent
Echouer à soulever
Ne serait-ce qu’une mèche
Des cheveux du mort,
Qui semblaient fins pourtant,
Alors que dans le cortège,
Il décoiffait tout le monde.
De voir les fleurs blanches,
Disposées le long du corps,
Tellement accablées !
Et plus encore quand le cercueil est passé
Devant le bosquet d’où on les avait coupées.
Pour l’odeur, a dit la vieille
Qui s’en était chargée.
Mais c’est joli aussi,
Ça décore.
Ça m’a fait quelque chose
– Moi qui avais voulu mourir
Et lui certainement pas –
Quand nous nous sommes croisés.
Ecrire
La seule pensée juste
Qui me viendra jamais
Sera par moi ignorée
Puisqu’il ne m’est pas donné de voir
Ce que je pense
Puisque je peux souffrir
Sans douleur au point de souffrance
Mon temps se passe
À écrire
Entendez
Qu’il attend ce qui est déjà là
Composition de l’éternité
Morte je serai vue
Avec les yeux du temps
Qui inlassablement place
Le passé devant
Aussi ce jour arrivera
Qui me verra m’enfuir
Les bras chargés
De trésors enfantins
Violette Leduc. Ravages

J’attendais, j’espérais. J’espérais si fort que c’était comme si tu m’avais aimée. Sinon comment l’aurais-je supporté? Il n’y a que les fous qui se contentent d’attendre.
La source
S’il fallait revenir
Quel jour choisir
Pour faire mon entrée
Naître encore ? Non !
Revenir comme je suis
Et ne pas déranger ce que j’étais
Observer seulement observer
Ah je sais déjà que des larmes sont à craindre
Des cris à retenir
Non pas à cause de ce qui est perdu
Car tout se perd oui et non
À cause de moi me regardant
Regarder paisiblement vers l’avenir
Ce haut-monde

© 2019 The Estate of Francis Bacon
Mourir n’est pas la fin
Vivre n’y mène pas
Vivre est immobile
Nos corps sont figés là
Dans la révolution
Seule la pensée
À allure retenue
Va et vient
De long en large
De bas en haut
D’une nature à l’autre
Elle ne presse le pas
Qu’à l’abord des champs secs
– Ici la mort se trouve –
Dans lesquels l’idée germe
Que la Terre n’est rien
Que rien ne s’accomplit
Sur ce qui a été
Partialement nommé
Ici-bas
Georges Perec. Les choses

Dans le monde qui était le leur, il était presque de règle de désirer toujours plus qu’on ne peut acquérir.
Simone de Beauvoir. Une mort très douce

Pour moi, ma mère avait toujours existé et je n’avais jamais sérieusement pensé que je la verrais disparaître un jour, bientôt. Sa fin se situait, comme sa naissance, dans un temps mythique. Quand je me disais: elle a l’âge de mourir, c’était des mots vides, comme tant de mots. Pour la première fois, j’apercevais en elle un cadavre en sursis.

