À peine entendue

©Tarsila do Amaral
(c’est étrange ce silence si lourd 
dans ce lieu où je retourne seule)


même lorsqu’elle se penche sur le texte venant
la solitude ne se prête pas à l’existence

écrire – en sa présence –
est comme vouloir garder longtemps
l’eau prise à la fontaine dans sa paume


illustration du texte : ©Tarsila do Amaral, "Composition (Lonely Figure)", 1930, huile sur toile. ©Sao Fernando Institute Collection, Rio de Janeiro.

Mer à mer

©April Gornik

Quand elle sort de l’eau
on dirait qu’elle vient de l’eau


dans l’eau on ne tombe pas comme sur la terre
on tombe sur du tendre
on ne s’écorche pas

dans l’eau on ne respire pas comme sur la terre
on se sent respirer
on est respirée



Illustration du texte : April Gornik, "Storm, Light, Ocean", 2014, huile sur lin, 2 x 2,7 m ©April Gornik et Miles McEnery Gallery, New York

Nu assis

©Pan Yuliang

Tu dirais qu’il n’y a rien d’immobile
même ce qui ne bouge pas avance
les yeux ne voient pas tout
le cœur dans la poitrine avance
certains diraient
seul l’amour se déplace
ceux-là qui ont aimé
comme on apprécie un paysage
par la fenêtre du train
les mêmes diraient
la main qui écrit efface le mouvement
tu dirais que c’est faux
tu dirais que tout bouge
avenirs
souvenirs
tu te demanderais Sommes-nous dans ou hors
la tête posée sur les seins de celle qui porte le voyage



Illustration du texte : ©Pan Yuliang, "Nu assis", 1953, huile sur toile, 33 x 46,4 cm, © Musée Cernuschi

Cheval de trait

©Taman Al-Akhal
écrire absolument
non plus absolument écrire
non plus tordre
ni frapper
ni creuser
un mot seul pour tout dire
comme vérité
que les mots ne sont pas assez
tous les mots
écrits
dits
les phrases dissoutes
dans les nuits et les jours
les mots au-dessus de ta tête
comme nuages menacés
par ta disparition
nuages menaçants menacés
par un mot-vent
mot-marée galopante
voilà tu imagines
cheval de marée
par sa patience rongé
jusqu’à la corne
cheval blanc de marée noire
traçant toujours la même phrase
puis toujours le même mot
assez assez
s’imagine
tirant le mot par ses extrémités
pour n’en faire qu’un trait


Illustration du texte ©Taman Al-Akhal "Horses in Paradise", vers 1990-1999, peinture.

Par l’œil cicatrisé de la poétesse

©Baya
tu voudrais l’entendre
te dire 
ce que tu te dis à toi-même souvent

comme dit d’une autre voix

comme dit dans le noir

comme enfant
qui a cessé de geindre pour dire


tu voudrais
sur la route le soleil éclaté
et l’œil qui va s’y blesser
et la plaie qui t’aveugle
un moment seulement


Je te vois à nouveau
entière et pour toujours

tu voudrais sur les draps 
le rire morcelé
et vos lèvres exprès
qui vont s’y couper

plus tard 
se laveraient
à l’eau saline 
de l’une et de l’autre

tu voudrais dire des idioties

l’oiseau dans l’âme de la poétesse
a-t-il meilleure ou pire vie
que l’oiseau céleste

a-t-il plus grand espace



Illustration du texte : Baya, "Sans titre", 1964, gouache sur papier, 100 x 150 cm. ©Baya

Tableau

Dehors peut-être
Vent ou pluie
Ou mésanges faisant frissonner
La glycine
Mais ici
Rien ne bouge
Posé là sur le chevalet
Un portrait tout juste accompli
Lèvres incarnadines
Baisant les doigts de l'artiste
Et se mêlant dans la térébenthine
Au trop-plein de noir
Repenti de la toile

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