Il t’est arrivé de retranscrire certains de tes rêves dans tes textes tels que ta mémoire te les avait restitués. Sans en faire autre chose que des rêves. Toujours surprise que ceux-ci s’intègrent aussi parfaitement au vécu des personnages auxquels tu les attribuais, comme si tu n’avais été qu’un intermédiaire entre les rêves et leurs destinataires. Ce sont là les seuls éléments autobiographiques que tu restitues par l’écriture sans adaptation. Bien incapable de lire ton existence éveillée aussi clairement que tu lis ces songes qui te semblent aisément déchiffrables. Sans doute à cause de leur récurrence qui te laisse du temps pour leur interprétation. Que celle-ci soit juste ou erronée – et ça tu ne le sauras jamais –, ces rêves disparaissent de tes nuits après que tu t’en es défait dans un texte. D’autres viennent alors, tout aussi répétitifs.
Que signifient ces incursions de ton inconscient dans la construction d’un récit ? Ces rêves dont tu fais matière d’écriture sont faits à tes mesures, mais s’ajustent sans retouches à la morphologie du personnage à qui tu en fais don. Ce personnage l’as-tu bâti autour, à partir ou bien pour le rêve ? Et que veux-tu dire par pour le rêve ? Cherches-tu à l’isoler, le posséder, changer sa structure, refiler ce bébé à d’autres ? Devient-il tangible traduit en phrases ? Ta seule certitude c’est qu’en agissant de la sorte, tu vois le rêve de l’extérieur et non plus de l’intérieur. Il y a changement de perspective et d’organes de vision. Mais ce que tu vois n’est probablement pas le rendu fidèle de ce que ton esprit t’a montré durant ton sommeil. Pourquoi pas une hystérésis des échanges électriques et chimiques nocturnes. Un crépitement résiduel.
Utilisant ces rêves dans tes textes, tu transformes une matière passive, qui a ses raisons de l’être, en une matière active, qui n’a peut-être aucune raison de le devenir. C’est un peu comme si tu te nourrissais des résultats de ta digestion. Malgré tout, une matière d’écriture moins mauvaise que celle composée de ce qui ne peut se digérer et, par conséquent, pas se rêver.