©Sophie Ristelhueber
la poésie ne sert à rien
ce qui est mort est mort
ce qui est fait est fait
elle n’œuvre pas pour la mémoire
elle sait
la mémoire n’est pas un remède collectif
la poésie n’est pas une arme
au mieux elle est une truelle
une bobine de fil
elle a les yeux au bout des mains
alors elle est sans pouvoir
on dit pour s’en défaire
elle est la voix de demain
demain qui ne vient jamais
ou si furtivement
qu’on ne peut s’y installer à demeure
ou si lentement
si lentement
que ceux que l’on tue n’ont guère le temps
d’en faire sépulture
la poésie ne sert à rien
elle sait être le résultat de l’échec
mais elle s’entête
elle s’entête
inlassablement
elle remonte les corps suppliciés à la surface
elle réécrit les noms effacés des papiers administratifs
elle recoud les vêtements percés et les peaux percées
elle refleurit les allées
elle caviarde des pages entières du Récit-Officiel
elle verticalise ce que l’on a courbé
relève ceux que l’on a couchés
et depuis le début
elle n’attend que ça
mourir
Photographie ©Sophie Ristelhueber, Eleven Blowups #10, 2006.
Site de Sophie Ristelhueber https://sophie-ristelhueber.format.com/