
quand derrière la fenêtre
il n’y a plus de jardin
on regarde les oiseaux
ne faire que passer
Illustration du texte : ©Kay Sage, "South to Southwesterly Winds Tomorrow", 1957, huile sur toile.
"Je ne fais pas partie du mouvement de la rue, puisque je le contemple." Virginia Woolf

cette minute durant laquelle on ne s’inquiète plus de rien comme elle semble éternelle dans la clarté soudaine comme elle semble douce entre le pire qui vient d’arriver la crainte qu’il demeure mais ce n’est rien l’amour enveloppe tout le malheur cela s’est dit dans les olympes et la chair de l’amour est dure aussi dure qu’est tendre la chair éprise de nos rêves celle-là qui a fait des chemins de nos mains des livres de nos lèvres des cœurs de nos rancœurs cette minute durant laquelle toute vie devient vie comme elle semble douce dans son éternité brève sa brièveté éternelle ©Joan Mitchell, "Merci", 1992, peinture sur toile, diptyque. ©Joan Mitchell Foundation, New York.

Tu auras froid, si je ne te parle pas d’amour. Tu marcheras plus loin, plus vite, avec tes yeux qui laisseront passer le froid. Sans toi, j’aurai mal, partout où tu te fais mal. Tu auras froid, si je ne te parle pas d’amour. À cause de ces maudites fenêtres, ouvertes sur la cour de nuit comme de jour, et leurs paupières gonflées par les intempéries d’au moins mille saisons. Tout le chaud s’enfuyait par là. Tout le froid demeurait. Tu remarques mon emploi d’un temps passé ? Je te parle, je te parle. Tu auras froid, si je ne te parle pas d’amour. Je te dis des choses idiotes que tu ne comprendras pas, tant la poésie en est absente. Je te dis : Si l’arbre donnait l’oiseau, il n’y aurait pas de peau mâchée, il n’y aurait pas d’os en compote. Je réponds à une question que tu n’as pas posée : Bien sûr que tu as touché des os d’oiseau, puisque tu m’as caressée. Photo ©Gabrielle Segal, "Nantes, 11 Septembre 2022, 14h42".

Tu dis Je veux être éternelle parce que la beauté est éternelle tu dis Le temps peut bien se saper à vouloir la saper tu dis Ah qu’il tombe en miettes bonnes pour les moineaux Je ne bougerai pas d’ici pour la beauté qui porte parfois des ailes et se nourrit de miettes tu dis Je ne bougerai pas d’ici tu dis Je mourrai évidemment je mourrai un jour comme on en a tant vu brisé en deux par le milieu par nous tous voyants qui n’attendons que ça la marque de la nuit la faille qui se traverse toute peur hissée les yeux fermés enfin tout le cœur hérissé les yeux fermés enfin tu dis La beauté sait de sa solitude tout ce qu’il faut en savoir c’est une certitude tu dis Alors l’éphémère sans doute n’existe pas nous l’ignorons encore ©Wanda Mihuleac, "Ombre", 1974, poème tautologique, photographie.

les blancs les bleus les ocres ce que veulent tes mains au tout dernier moment de quoi tenir l’hiver rêves et vérités pierres brûlées et brûlantes figues fendues en deux par les doigts de la Poétesse souffles et suées et ruades du cheval de bronze quand tu auras cela partir ne sera pas quitter partir sera aller de ce lieu que tu laisses vers ce même lieu ce que veulent mes mains au tout dernier moment de quoi tenir l’hiver le voyage retour Rosa Bonheur, "Two horses", huile sur toile, 1889, ©National Gallery of Greece.

tu voudrais savoir que tu ne sauras jamais rien tu voudrais en être sûre rien du temps de l’amour tu aimerais aimer sans connaître la part que va te ravir le temps ne pas voir ne pas entendre sa façon brutale de te la prendre tu voudrais que ça dure mais bien sûr ce désir c’est le temps qui le tient entre ses canines déjà tu vois tu sais ta façon brutale pour le lui reprendre Rosa Bonheur "Barbaro après la chasse", 1858, huile sur toile © Philadelphia Museum of Art.

parfois le temps fait ça il dépose sur la peau en une seule fois toutes les années mortes ce que la peau dit alors de la douleur n’est pas la douleur ce qu’elle dit de l’amour n’est pas l’amour la peau n’est plus du corps elle est de la mémoire ce qu’elle dit du temps passé n’est pas le passé pas non plus le présent ce qu’elle dit du temps ce n’est pas le temps c’est ce qu’il oublie alors la peau fait ça elle prend ce qu’elle doit prendre en dehors de lui Vanessa Bell, "Nude with Poppies", 1916, huile sur toile. Swindon Museum and Art Gallery. © Estate Vanessa Bell.

c’est étrange cette tristesse qui naît de ton désir c’est étrange cette phrase entourée de tout ce blanc glacial comme un feu maigre qui ne réchauffe pas mais rappelle la chaleur vivre ainsi dans le souvenir de la flamme pourrait t’aller seulement ce n’est pas un souvenir c’est une attente l’attente une lame passée au feu qui d’une masse informe fait un corps brûlant à l’endroit de ses blessures essentielles blessures la tristesse coule de tes yeux d’entre tes cuisses au fond de ta gorge le sel toujours mêlé à l’eau pour que l’eau existe peut-être pour que les lèvres y reviennent assoiffées toujours assoiffées après avoir bu cette tristesse comme une prémonition que la solitude approche qu’elle vient pour toi et toi seule tu la vois à travers les plaies qui te permettent d’y voir elle piétine les feux résistants Photographie © Claude Cahun-et Marcel Moore "Aveux non avenus" planche III, photomontage.
Une histoire de traces. Comme dans une forêt blanche. L’immaculé du temps et tout le bleu de l’ombre au beau milieu du jour.* tu es partie à chacun de tes pas réflectifs la matière-miroir de ta peau a imprimé en toi part de toute chose gestes animalesques de tout être course nage vol mouvements disant mieux que paroles ça tu l’aurais juré l’involontaire suicide closant tes amours saccagées tu es restée la matière-miroir de ta peau a masqué ton visage avec figures anciennes et figures de passage aimantes ou non tu n’as pas su le dire tu n’as pas su aller le temps ? il t’a aimée il t’a aimée et puis tu l’as déçu *Caroline Dufour

Le temps là laissé par tous qui s'en défont comme mot déprécié toujours au même lieu vient Lui tourner autour cherche lèvres cherche langue gorge cordes arbre bronchique cherche souffle son instruments de la voix cherche à former syllabes si empressé de dire de médire de maudire ha ! de prédire le temps là finalement perdu va vient vacille fouraille dans la terre cherche raison cherche commencement fouraille dans les chairs cherche alliés cherche ennemis mais qui sont les uns mais qui sont les autres Le temps là quand il La regarde jour après jour après jour après jour toujours frissonne Elle quand Elle le Regarde Ne Sait pas ce qu'Elle Voit ©Encre sur papier de Corinne Freygefond. Sans titre #5, 2020.