Une étoile pour Hermann Barrel

De la poussière d’étoiles tombe du ciel. Personne ne la remarque à part Hermann Barrel qui remarque toujours un tas de choses étranges en sortant du pub. Mais il en voit aussi avant d’y entrer. C’est pour les oublier qu’il va se mettre mal.
Les particules d’étoiles tournoient au-dessus de sa tête avant de tomber dans une flaque. Hermann s’agenouille pour fouiller délicatement le liquide. Ses compagnons le regardent faire et finalement l’abandonnent.
Les mains d’Hermann scintillent. Bouche bée, il admire les minuscules grains lumineux et cherche vaguement ses comparses du regard pour leur faire profiter du prodige. Il n’est pas surpris qu’ils ne soient plus là. C’est à peine s’il se souvient d’eux. Il y avait Eliott Barnett, c’est certain. Sa femme l’a quitté depuis peu. Il ne pouvait être qu’au pub. Quant aux autres gars, trou noir.
Il pense à la femme d’Eliott un moment. Une écossaise rigide avec des seins plats et des lèvres fines tracées de deux traits de crayon hésitants. Une bigote convaincue qu’il y a une part divine à l’intérieur de toute chose et de tout être et qui, pour son malheur, a épousé un homme qui en est dépourvu. Il y a trois jours, elle a fait venir un prêtre pour qu’il constate ce fait par lui-même et justifie auprès de Dieu sa décision de se séparer d’un tel individu. Elle craignait probablement que sans assentiment céleste, sa rupture lui coûte sa place au paradis. Eliott est rentré chez lui ce soir-là plus saoul qu’il ne l’a jamais été. Illico, le prêtre a déclaré que le diable avait mille visages et qu’il reconnaissait parfaitement celui-là pour l’avoir croisé souvent aux portes de Sodome. Il a rajouté que l’on ne sauve pas ceux qui s’abreuvent du sang de Lucifer. Par acquis de conscience, il a tout de même rappelé à la femme d’Eliott le pour-le-pire. Elle lui a rétorqué que le pire valait que s’il y avait eu du meilleur, ce qui n’était pas le cas. Après quoi, elle lui a tendu un chèque à quatre zéros. L’homme de Dieu a hoché la tête en le pliant en deux, avant de lâcher sur le pas de la porte : « Je Lui parlerai.»
Hermann Barrel regarde les résidus stellaires s’éteindre un à un dans sa paume. Au fond, il sait bien que ça n’est que de la limaille de fer. Ses mains sentent la pisse. Une odeur familière qui lui rappelle son chien. Une saleté d’animal qui se soulage systématiquement dans le hall d’entrée de l’immeuble après s’être retenu tout le temps de sa visite au parc à chiens.
L’aube sera bientôt là. Il faut filer. Hermann serre son poing. Il sait que les étoiles ne tombent pas en lambeau du ciel. Que cela n’arrive qu’aux hommes, à ras le sol.
Cependant, il serre plus fort, imaginant qu ‘une particule astrale pénètre dans son réseau sanguin et circule au gré des courants aléatoires de son cœur usé. Il pense que la femme d’Eliott serait heureuse de constater qu’il possède en lui une part divine. Puis il pense qu’elle ne verrait rien du tout.
Quand Hermann rentre chez lui, son chien lui saute dessus comme à l’accoutumée et renifle son torse, ses bras, son cou, ses jambes. Puis il se met à lécher consciencieusement une petite plaie dans la paume de sa main avant d’aboyer et de frétiller à la porte pour aller pisser dans le hall.

13 commentaires sur “Une étoile pour Hermann Barrel

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    1. Non, ces courts textes sont pour moi un travail d’écriture différent de celui du roman. Il faut raconter beaucoup en peu de temps. Mais ils me servent cependant de carnets d’écriture. Et certains de mes personnages de romans sont issus de ces micro-nouvelles.
      Je vous souhaite la bienvenue ici.
      Gabrielle

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    1. Difficile de vous répondre. Chaque rentrée littéraire pousse les romans plus anciens vers la sortie. Peu de libraires parviennent à conserver les ouvrages au delà de six mois. Je n’ai pas d’actualité à ce jour, et donc sans doute pas beaucoup de visibilité en librairie. Vous me trouverez sans mal sur le site de mon éditeur, Maurice Nadeau, ou si vous vivez à Paris, à la librairie Nadeau, dans le 5 ieme. Ecrire est une chose, l’édition et la diffusion en est une autre !
      Je vous remercie pour votre intérêt et vous envoie toute mon amitié.
      Gabrielle

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  1. Je ne sais si vous le prendrez comme un compliment mais la force et la densité de vos textes me font penser à celles de Colum Mc Cann dont je suis une inconditionnelle.
    Je suis très loin de Paris mais je suis sûre que ma libraire saura dénicher l’un de vos romans.

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    1. J’accepte votre compliment avec beaucoup, beaucoup de modestie. J’ai découvert Colum McCann avec « Les saisons de la nuit », livre que j’ai adoré et qui m’a ouvert la porte de cet auteur. J’aime la littérature américaine que je trouve, pour reprendre vos mots, dense et puissante. Toujours au service de l’histoire et des êtres.
      Par ailleurs, j’apprécie que votre reflexe pour trouver un livre soit de vous en remettre à votre libraire. D’accepter ce temps de l’attente et de l’incertittude. Les librairies sont pour moi, comme les bibliothèques et tous les endroits où l’art nous est offert, les plus beaux endroits du monde.
      Je n’ai publié à ce jour qu’un ouvrage, « Brooklyn strasse ». Vous n’aurez aucun mal à vous le procurer. Mais tenez-moi au courant.
      Je vous remercie pour votre intérêt à l’égard de mon écriture. Les échanges sont précieux.
      Je vou envoie toute mon amitié.
      Gabrielle

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  2. Moi qui croyais avoir tout lu de Mc Cann, je m’aperçois que je n’ai pas lu « Les saisons de la nuit »! Je l’ai découvert avec le très beau « Et que le vaste monde poursuive sa course folle ».

    Oui j’ai la chance d’avoir une « vraie » libraire qui lit et sait parler des auteurs et des livres. Elle a aussi la qualité de supporter que ses clients viennent fouiner des heures à travers les rayons parfois sans rien acheter, chose qu’aucun amazon ne saurait offrir, le plaisir étant aussi dans l’attente.
    Cet échange est encore plus précieux pour moi, croyez le bien et je ne manquerai pas de vous parler de votre « Brooklyn strasse ».
    Amitiés

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    1. « Les saisons de la nuit » est un livre magnifique. D’une obscurité lumineuse, si je peux me permettre cet oxymmore.
      C’est une grand chance d’avoir dans ses entourages une libraire comme la vôtre. Un grand bonheur, ces heures passées en compagnie des livres. Le futur nous privera sans doute de ces moments de liberté et de voyages immobiles. Entrer dans une librairie est déjà une résistance. Ainsi que d’attendre le temps qu’il faut pour acquérir un livre.
      Je serai à l’écoute à l’écoute de votre ressenti à propos de mon livre.
      L’honnêteté et le partage sauver(ont)-aient le monde !
      Je vous envoie toute mon amitié.
      Gabrielle

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  3. Bonjour Gabrielle,
    J’ai terminé votre livre depuis quelques temps déjà, j’attendais un peu avant de vous en parler parce qu’un livre se savoure (quand on l’a aimé, ce qui est le cas) longtemps encore après.
    J’ai aimé ces fenêtres au travers desquelles on voit évoluer des personnages, forts, tous blessés par la vie, qui continuent malgré tout, comme ils le peuvent, ce qui rend le roman particulièrement humain et touchant. Chacun de nous je crois peut s’y reconnaitre un peu car vous avez eu l’habileté de n’en faire ni des monstres (je pense à Pete) ni de grands héros. Ce sont de petites touches lumineuses ou parfois plus sombres de ce que nous sommes tous, ni tout blancs ni tout noirs que votre écriture sensible a mis en évidence.
    Merci pour ce beau moment de lecture qui me restera dans le coeur, je vous souhaite de belles fêtes de fin d’année.

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    1. Je vous remercie d’avoir pris le temps de me faire part de votre ressenti et de votre réflexion sur « Brooklyn strasse ». Pour un auteur, ces échanges sont très enrichissants et réjouissants. Je suis heureuse que vous ayez vu dans ce livre ce que j’ai voulu y mettre et que vous vous soyez attachée à mes personnages qui me sont devenus si chers.
      Je vous souhaite également de très belles fêtes de Noël. Prenez surtout bien soin de vous et des votres.
      Mes amitiés
      Gabrielle

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